Tu te trouves devant un lavabo surmonté d'un miroir.
Qui es-tu ?
Tu as une blouse blanche salie aux coudes. Du maussade dans les yeux. Une cravate chiffonnée. Tes mains sont torves à l’articulation. Pas vraiment plates quand tu les poses.
Le maintien de ta nuque t’effraie par sa roideur. La tête est comme surélevée par cette branche de cou.
Les paumes tournées vers toi, tu constates des doigts rugueux, des ongles rongés, une pulpe grise de carbone.
À droite du miroir écaillé, accroché au mur par quatre rivets rouillés, un calendrier historié. Tu lis :
**KUNSTGEWERBESCHULE MAI 1935**
Un fumet de térébenthine reflue du siphon. À main gauche, tu avises un pi de savon noir, encore luisant de quelque pogne humide.
Sur le banc de fenêtre, chiffonné, un tissu peinturluré.
Derrière le miroir, le mur piqueté de couleurs se délite et se voile. Tu agrippes l’émail du lavabo pour ne pas tomber.
Qui es-tu ?
[[Tu penses étudier les beaux arts ?]]
[[Tu penses faire le ménage ?]]
[[Tu préfères réserver ton opinion ?]]
Tu te tournes.
Une salle immense, percluse de pénombre, raide comme une toile huilée.
Tu avances entre les tables. Fautes de bois et de métal dans ce lac gris, impalpable, à peine éclos.
Le jour vient de tomber.
Troisième rangée à gauche, une lampe faseille par grésillements muets. Tu approches. La tapotes. Elle se fixe en une teinte laiteuse tirant sur le jaune.
À cheval entre le halot et la table obscurcie, deux dessins au graphite. Tu les reconnais : ils sont sortis de toi.
Premier dessin : une femme hiératique, les bras levés au-dessus de l’occiput. Doigts tendus. Tiare en demi-lune, yeux clos, lèvres fines. Tu as même dessiné les poils épars aux aisselles. Cheveux infinis dans le tracé.
Second dessin : une scie ligne droite traits sûrs voire naïfs.
Le contraste entre ces deux esquisses te frappe. Une seule anomalie qu’on pourrait taxer d’excentricité : la scie est inversée. Le manche est blanc. La lame est noire. Crayonné plein de nuit. Sur la feuille, une mine de graphite cassée. Tu soulèves la feuille et constates qu’elle est gondolée. Comme crêpée. Tu as appuyé avec excès.
Tu la retournes pour examiner les dégâts au verso. Tu lis :
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière.**
Tu as barré cette phrase trois fois.
[[Tu ranges tes affaires et sors ?]]
[[Tu décides de fouiller les lieux ?]]
Tu prends le chiffon posé sur le banc de fenêtre et frottes le lavabo souillé de peinture.
Il te faudrait du white spirit mais il n’y en a pas.
Sous le lavabo, peut-être.
Tu t’agenouilles.
Deux cancrelats crapahutent sur les carreaux vert blanc noir.
Leur motif géométrique t'intrigue. C’est le plan d’une basilique romaine. Le vert étant l’extérieur.
Non. Il s’agit d’un minotaure. Deux cornes noires sur un corps anthropomorphe à sa façon carrée.
Non. Un dieu. C’est ça. C’est clairement un dieu cyclope dont l’œil réprouve les insectes. Insectes que tu entends clairement couiner. Pourtant, les cancrelats ne couinent pas. Et même parmi les arachnides, seule une espèce de tarentule est capable d’émettre un cri.
Comment en sais-tu autant sur les rampants ?
Tu te lèves brusquement, tu heurtes la base de ton crâne contre le lavabo et [[tu perds connaissance]].
De toute évidence, tu es amnésique.
Tu te laves scrupuleusement les mains au savon noir et étires tes paupières pour mieux voir ton œil. Le blanc est bien blanc. La pupille verte irisée. Si près du miroir, tu remarques des traces de gras sur son plan glacé. De longues traînées de doigts ratissent ton reflet. Comme si on s’était appuyé en tombant. En tombant lentement, laborieusement.
Avec un soupçon d’angoisse, tu apposes ta paume sur la marque. Elle se calque parfaitement. Tu étais ici. Tu as chuté lentement, laborieusement. Tu. Et maintenant, tu es amnésique.
[[Si tu as peur de faire un nouveau malaise, sors chercher de l’aide.]]
Mais [[si tu penses avoir été victime d’une agression]]…
Tu roules les deux dessins, les attaches au moyen d’un trombone, les fourres, avec la mine de graphite cassée, dans la poche de ta blouse et te diriges vers la porte la plus proche.
Elle donne en couinant sur un couloir faiblement éclairé, encombré de sacs de glaise et de plâtre te rappelant ces motifs de tranchées, ces habitats de poilus, que véhiculaient les journaux pendant la Grande Guerre. De toute évidence, tu n’es pas totalement amnésique. La vue des sacs contamine ta bouche et ton nez : tu sens et goûtes le plâtre et la glaise et la peau de tes mains. Et ces arômes sont bien connus. Appréciés. S’y ajoutent plaisir du bois, acidité crayeuse de la pierre et un écho se perpétue. Nappe de claquements et de fissures, de craquements et de résistance osseuse.
Tu sais que tu confrontes la frontière de ton corps – principalement les mains – à des matières moins pulpeuses. Et tu en tires des formes.
Tu sculptes. Oui. Tu peins. Oui. Tu dessines.
Soudain, tu entends une porte claquer sur ta droite. Un homme déboule dans le couloir, te bouscule, trébuche sur un sac et disparaît au coin du corridor, à ta gauche.
Silence en pointillé.
Un cri retentit à l’extérieur du bâtiment. [[Où vas-tu ?]]
Contre le mur, face aux grandes fenêtres donnant sur un parc obscurci, reposent des toiles à différents stades de finition. Elles rendent le mur oblique et, par leur biais gris, forment les contreforts de quelque forteresse médiévale.
Leur agrégation déraisonnée, bariolée et chaotique, te pince le cœur, comme de l’euphorie retenue. Tu passes en revue les toiles les plus proches de ta table.
Au milieu, prise en étau entre deux croûtes brunâtres t’évoquant des parts mal tranchées de christmas pudding, une femme toute en cercles et en travers. Yeux grand ouverts. Paupières inexistantes.
Elle.
Batracien inapte à ciller.
Elle.
La femme de ton dessin crayonné. Tu reconnais son visage à défaut de sa pose.
Elle.
Et pourtant si molle là où tu l’as croquée si dure. Tendre où tu l’as vue crue. Le pincement de myocarde s’accentue. Ton index rongé t’échappe et cherche à effriter la peinture abondamment écaillée du mur. Cherche réconfort dans les miettes. Le craquant.
Tu te ressaisis. Serres le poing. Ta fouille a dérangé deux cancrelats qui crapahutent de leur abris angulaire.
Tu te penches pour regarder la signature de la toile. Tu lis :
**H. SAUVAGE**
Soudain, un cri retentit à l’extérieur du bâtiment.
[[Tu sors précipitamment ?]]
Mais non. [[Il faut que tu retrouves la mémoire avant de croiser un quidam.]]
Un cri te sort de ta torpeur. Tu reprends rapidement tes esprits. Tu masses l’arrière de ton crâne. Une bosse s’est érigée sur ton cuir chevelu.
Tu te lèves et t’apprêtes à t’abreuver d’une bonne poignée d’eau fraîche lorsqu’une masse s’affaisse lentement contre la fenêtre. Dehors. Le râpement étouffé du tissu contre le verre dépoli te fait frissonner.
[[Tu ouvres la fenêtre ?]]
Tu sors de la salle d’eau et te [[retournes]] ?
C’est une fenêtre à guillotine.
Tu manipules nerveusement le loquet qui bloque le châssis, puis tu le hisses. Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
La fenêtre donne sur un parc obscurci, bientôt zébré des rais d’un fanal ou d’une lanterne, dont les balancements répondent au martèlement binaire d’un pas de course.
Un chatouillement de mémoire t’invite à froncer ta cervelle :
*Il y avait une fresque.*
*AD GLORIAM NOSTRAM.*
Le fanal arrive à destination. Il pend le long d’un bras noir. Une silhouette en chapeau et gabardine te fait face, lumineuse de la main, façon colosse de Rhodes qui serait un phare.
*HÉ ! TOI !* dit la silhouette en chapeau, doigt tendu vers toi. *TOI !*
C’est un homme, donc. Derrière lui se dissimulent deux êtres plus petits.
Le chapeauté avance d’un pas ferme, s’interrompt, lâche la lanterne.
Tu baisses les yeux. Sous la fenêtre, contre le mur, dans la lumière qui tangue, une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être.
Dans la flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras.
Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either:"[[Un voile tombe sur tes yeux et]]…","[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]…").
Au milieu du couloir, des sacs.
Face à une porte ouverte, donnant sûrement sur la pièce que tu as quittée précipitamment.
Tu entres.
À droite, le lavabo et son miroir.
À gauche, un atelier immense, perclus de pénombre, raide comme une toile huilée. Tu avances entre les tables. Fautes de bois et de métal dans ce lac gris, impalpable, à peine éclos. Le jour vient de tomber. Troisième rangée à gauche, une lampe faseille par grésillements muets. Tu approches. La tapotes. Elle se fixe en une teinte laiteuse tirant sur le jaune.
À cheval entre le halot et la table obscurcie, deux dessins au graphite.
Premier dessin : une femme hiératique, les bras levés, anguleux, au-dessus de l’occiput. Doigts tendus. Tiare en demi-lune, yeux clos, lèvres fines. On a même dessiné les poils épars aux aisselles. Cheveux infinis dans le tracé.
Second dessin : une scie ligne droite traits sûrs voire naïfs.
Le contraste entre ces deux esquisses te frappe. Une seule anomalie qu’on pourrait taxer d’excentricité : la scie est inversée : le manche est blanc. La lame est noire. Crayonné plein de nuit.
Sur la feuille, une mine de graphite cassée. Tu soulèves la feuille et constates qu’elle est gondolée. Comme crêpée. On a appuyé avec excès. Tu la retournes pour examiner les dégâts au verso. Tu lis :
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière.**
On a barré cette phrase trois fois.
Tu.
Ces dessins sont de toi. Tu le sens dans la région des doigts où les nerfs palpitent. La feuille tremble – simili Japon.
Pourquoi ta mémoire ne sonde-t-elle pas plus arrière ?
Qui es-tu ?
[[Il faut que tu retrouves la mémoire avant de croiser un quidam.]]
Tu sors, tu ignores une vaste pièce obscure et tu marches façon somnambule vers la porte.
Elle donne en couinant sur un couloir faiblement éclairé, encombré de sacs de glaise et de plâtre te rappelant ces motifs de tranchées, ces habitats de poilus, que véhiculaient les journaux pendant la Grande Guerre.
De toute évidence, tu n’es pas totalement amnésique. La vue des sacs contamine ta bouche et ton nez : tu sens et goûtes le plâtre et la glaise et la peau de tes mains. Et ces arômes sont bien connus. Appréciés. S’y ajoutent plaisir du bois, acidité crayeuse de la pierre et un écho se perpétue. Nappe de claquements et de fissures, de craquements et de résistance osseuse.
Tu sais que tu confrontes la frontière de ton corps – les mains, principalement – à des matières moins pulpeuses. Et tu en tires des formes. Tu sculptes. Oui. Tu peins. Oui. Tu dessines. Mais ça n’a d’importance que dans la mesure où tu ne perds pas de nouveau connaissance.
Tu dois trouver de l’aide.
[[Tu vas à gauche]].
[[Tu vas à droite]].
Tu t’enfuis, le cœur battant. Et si l’agresseur revenait sur les lieux du crime, comme le prétendent les fascicules de la milice ? Tu trébuches sur un monceau de sacs. Sans réfléchir…
(either: "[[Tu vas à gauche]]" , "[[Tu vas à droite]]")
À droite, un couloir encombré de sacs donne sur une porte close.
À gauche, il tourne une nouvelle fois sur la gauche.
Tu optes pour la droite ? [[La porte se trouve ici]].
Que se cache à gauche, derrière le [[coude]] ?
Tu retrousses tes manches, saisis la mine de graphite cassée et exhumes une feuille vierge, aux bords comme mordus, au regard blanc du macchabée de Doris.
Doris.
Elle qui, pour étudier les chairs, comme Géricault, contemple des cadavres.
Géricault.
La bataille de Jéricho. **AD GLORIAM NOSTRAM**.
Une nausée te souffle aux lèvres. Derrière les lèvres, l’haleine d’une nausée qui serait ta mémoire. Non, ta mémoire n’est pas ce papier net et pur, au grain doux qu’il serait du vélin. De la peau de veau mort-né.
Non. Ta mémoire est en fait cette exhalation putride.
Ta mémoire est ce qui reste d’un repas éparpillé sur une table grasse. Que feras-tu de ces trois indices ?
Doris. Cadavre. Énucléation.
Jéricho. Ad Gloriam. Cinq.
Il y avait une fresque. Ou plutôt un requiem aux illustrations vivaces qui seraient mortes. Et pour marier ce vivace et ce mort, il y avait Doris et ses macchabées froids à la texture fongique. Le temps passé à la mater déconstruire le vivant. L'effort à la regarder en face.
Doris.
Il y avait cette fresque à achever comme on achève une geste. Savoir que cette fin n’existe pas sans Doris.
Tu creuses. Tu fourrages. Où est le corps de Doris ? Comment se construit-il en termes d’ombres ?
Une cigarette. Des doigts secs et gercés. Une partition. La nausée revient et soudain, l’odeur âcre du cadavre. Du Cadavre. Le. Le seul. Un macchab que ni transpiration ni poudre ni térébenthine ni parfum ne transforment jamais en guilleret. Une puanteur qui est un cadavre et vice-versa. Doris met un mouchoir parfumé devant ton nez. Il fait sombre. Elle a allumé la bougie et tu l’as vu.
Tu grattes frénétiquement le papier. « Dessiner de mémoire », dit-on sans ironie.
Une main se pose sur ton épaule et (either:"[[tu tressailles]]." , "[[tu tressailles et zèbres le croquis d’un sillon gris.]]")
Te rends-tu à droite, par où l’homme a fait irruption ? [[La porte se trouve ici]].
Décides-tu au contraire de le suivre derrière le [[coude]] ?
Tu te rues vers la porte, au fond du couloir. Elle grince lorsque tu fais guincher les gonds.
Il n’y a rien.
Un rien de débarras.
Deux rangées de portemanteaux desquels pendent mollement, façon stockfish sur les quais d’un village de pêche norvégien, des blouses blanches semblables à la tienne.
Quelque part derrière tes omoplates, l’électricité grésille et devant, ce qui fait osciller les blouses, c’est quoi ? Y a-t-il une aération, là-bas, dans le sombre plat et noir et sombre du fond sombre ? Si sombre qu’on ne peut guère le qualifier de bout tant il est opaque à la rétine.
Et toi ?
Que fais-tu dans un placard à t’interroger sur le balancement erratique et visiblement perpétuel d’une escouade fantôme de blouses blanches / limandes évidées ?
Et toi ? Oui, toi ! Hé ! HÉ ! TOI !
Tu prends ton courage à deux mains et entres dans le [[vestiaire]] ?
Tu préfères rebrousser chemin et suivre le [[coude]] sur la gauche.
Tu tournes au coin du couloir.
Derrière le coude, un hall vaste et obscur façon cathédrale mitigée de jungle.
Personne.
Quatre magistrales colonnes coffrées d’écorces polies. À leur faîte, formant un dais, des arcs en plein cintre maculés d’une constellation dorée de clous de cuivre. Quelques appliques rectangulaires. Vitraux verts veinés de jaune et de noir. Le sol en granita, dont les miettes d’obsidienne font comme le sable sous l’œil. Et le tout opaque. Et le tout canopée tamisée. Précisément noir, jaune et vert comme une plaie gangrénée.
À droite, en lettres de bronze, frontispice d’un portail massif en fer boulonné fraîchement peint noir **AD GLORIAM NOSTRAM**
puis une flaque gris roussi, de poussière ou incendiée,
puis UBI,
puis du rien catastrophique et plâtré laissant présager l’avènement d’une fresque future.
À gauche, un escalier dont les marches fines et ocres te donnent envie de jouer un air de fox-trot au piano. Ou de chasser l’éléphant.
En face, un arche semblable à celui que tu remplis de ta carcasse.
Où vas-tu ?
À l’étage, par [[l’escalier]] ?
Dehors, par le [[portail]] ?
En face, par [[l’arche]] ?
Une main se pose sur ton épaule.
Tu tressailles.
Comment ?
tu n’as entendu personne venir.
Tu te lèves, la mine de graphite entre deux doigts, comme une cigarette.
Un homme épais, au visage étrangement petit, lac entre broussailles, perdu au milieu de boucles grasses de cire ou de crasse et barré d’une moustache peu symétrique. Ou est-ce la lèvre biaise ? Deux yeux charbon. Un gant de travail étranglé par une pogne gantée à gauche. Une main nue, étonnamment petite, à droite, qui porte un chapeau.
*QUE FAITES-VOUS ENCORE ICI ? TOUS LES ÉTUDIANTS DE PREMIÈRE ANNÉE SONT À LA CÉRÉMONIE !* sonde-t-il avec l’inquiétude de l’homme qui croit voir le spectre.
Il baisse les yeux sur la table. Voit la scie. Et le portrait de Doris que tu viens de réaliser de « mémoire ». Un croquis appuyé, fait de pointe et d’accroche. C’est le visage d’une femme. Ou plutôt ses ombres. Des taches grises, sans trait pour les lier. Et cette obscurité, oui, cette obscurité est sûrement Doris.
L’homme qui te connaît mieux que toi-même te contemple maintenant avec la certitude horrifiée de celui qui a vu le spectre.
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
Une main se pose sur ton épaule.
Tu tressailles et zèbres le croquis d’un sillon gris. Tu n’as entendu personne venir.
Tu te lèves, la mine entre deux doigts, comme une cigarette. Un petit homme frêle, plus court que toi. Oreilles décollées qu’on les dirait pointues de face. Taches de rousseur et visage rond. Rongé. Rongeur. Lèvres lippues déguisant sûrement de petites dents de brochet.
Il évite ton regard, baisse les yeux en disant *DORIS* puis sa voix s’étrangle comme si une couleuvre avait glissé dans sa gorge. Il voit la scie et le dessin que tu viens de réaliser par automatisme. Un portrait appuyé, fait de pointe et d’accroche. Un portrait de mémoire dirait-on sans ironie.
C’est le visage d’une femme.
Ou plutôt ses ombres. Des taches grises, sans trait pour les lier. Et cette obscurité, oui, cette obscurité est sûrement Doris.
L’homme qui te connaît mieux que toi-même te contemple maintenant avec la certitude horrifiée de celui qui a vu le spectre.
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
Le premier acte de Zeitgeist s'achève [[ici]].
Le premier acte de Zeitgeist s'achève [[ici]]
[[Tu sors d’une bouche d’aération ?]].
[[Tu es en compagnie d’une femme ?]].
[[Ni l'un ni l'autre]].
L’homme au chapeau : *QUE FAITES-VOUS ENCORE ICI ? TOUS LES ÉTUDIANTS DE PREMIÈRE ANNÉE SONT À LA CÉRÉMONIE !* sonde-t-il avec l’inquiétude de celui qui croit voir le spectre.
Un des êtres petits dissimulés derrière lui sort de l’ombre. C’est une femme.
Elle est pâle. Sa cravate écarlate te rappelle un portrait de la Renaissance. Front haut. Cheveux tirés. Châtain sombre. Fossettes et pattes d’oie. Les joues creuses, elle dit, sans te laisser le temps de répondre à la question du chapeauté : *VOUS FERIEZ MIEUX D’APPELER LA MILICE, LOTHAR* puis elle s’approche et te serre la main. *JE SUIS DÉSOLÉE.*
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
L’homme au chapeau, avec l’inquiétude de celui qui croit voir le spectre : *QUE FAITES-VOUS ENCORE ICI ? TOUS LES ÉTUDIANTS DE PREMIÈRE ANNÉE SONT À LA CÉRÉMONIE !*
Il baisse les yeux. Les relève. Te contemple avec la certitude horrifiée de l’homme qui a vu le spectre.
Tu baisses à ton tour les yeux. Vois du sang sur tes mains, ta blouse, ton pantalon (aux genoux).
Et l’homme qui te connaît mieux que toi-même te décoche un direct au menton.
[[Un voile tombe sur tes yeux et]]
L’homme au chapeau : *QUE FAITES-VOUS ENCORE ICI ? TOUS LES ÉTUDIANTS DE PREMIÈRE ANNÉE SONT À LA CÉRÉMONIE !* sonde-t-il avec l’inquiétude de celui qui a vu le spectre.
La femme dit, sans te laisser le temps de répondre au chapeauté : *VOUS FERIEZ MIEUX D’APPELER LA MILICE, LOTHAR*
Puis elle s’approche et te serre la main.
*JE SUIS DÉSOLÉE.*
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
Tu tournes au coin du couloir.
Derrière le coude, un hall vaste et obscur façon cathédrale mitigée de jungle. Quatre magistrales colonnes coffrées d’écorces polies. À leur faîte, formant un dais, des arcs en plein cintre maculés d’une constellation dorée de clous de cuivre. Quelques appliques rectangulaires. Vitraux verts veinés de jaune et de noir. Le sol en granita, dont les miettes d’obsidienne font comme le sable sous l’œil. Et le tout opaque. Et le tout canopée tamisée. Précisément noir, jaune et vert comme une plaie gangrénée.
À droite, en lettres de bronze, frontispice d’un portail massif en fer boulonné fraîchement peint noir **AD GLORIAM NOSTRAM** puis une flaque gris roussi, de poussière ou incendiée,
puis **UBI**,
puis du rien catastrophique et plâtré laissant présager l’avènement d’une fresque future.
En face de toi, une femme. De même posture, sensiblement, que toi ici même. Issue probablement d’un couloir symétrique au tien.
À gauche, un escalier dont les marches fines et ocres te donnent envie de jouer au piano. Ou de chasser l’éléphant. Un homme disparaît en haut, visiblement pressé.
Soudain, un cri retentit à l’extérieur du bâtiment. Que fais-tu ?
[[Tu sors.]]
[[Tu interpelles la femme.]]
[[Tu suis l’homme à l’étage.]]
Tu te rues au fond du couloir.
Une porte. Elle grince lorsque tu fais guincher les gonds.
Un débarras. Deux rangées de portemanteaux desquels pendent mollement, façon stockfish sur les quais d’un village de pêche norvégien, des blouses blanches semblables à la tienne.
Quelque part derrière tes omoplates, l’électricité grésille et devant, ce qui fait osciller les blouses, c’est quoi ?
Y a-t-il une aération, là-bas, dans le sombre plat et noir et sombre du fond sombre ? Si sombre qu’on ne peut guère le qualifier de bout tant il est opaque à la rétine.
Et toi ? Que fais-tu dans un placard à t’interroger sur le balancement erratique et visiblement perpétuel d’une escouade fantôme de blouses blanches / limandes évidées alors que tu pourrais très bien être malade / victime d’une agression ?
Et toi ?
Oui, toi ! Hé ! HÉ ! TOI !
Soudain, un cri retentit à l’extérieur du bâtiment.
Tu [[retournes]] sur tes pas ?
Tu te précipites de l’autre côté du couloir et contournes le [[coude]] ?
Tu t'aventures dans le [[vestiaire]].
Tu pousses la lourde porte et passes le seuil. Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
Un globe, ou plutôt un gland Art Nouveau, dépose un cercle jaune, fatigué de phalènes, sur les dalles glissantes de l’allée centrale.
Sinon, autour, le parc est obscurci.
Plus loin, du gravier peut-être, car tu entends des roues sillonner la surface. Des roues cerclées de fer. Une carriole ou une brouette. Mais ça, c’est ce que tu entends. Pour le reste, du sombre palpable en creux.
La solitude, soudain, te pince l’œsophage, comme si le sombre...
*DÉPOSE UN CERCLE JAUNE FATIGUÉ DE PHALÈNES*
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière** te souviens-tu.
Une main se pose sur ton épaule. Tu sursautes.
*ÇA VENAIT DE L’AUTRE CÔTÉ* dit la femme, de la glaise sous les ongles.
Tu te retournes. Elle : regard anxieux. Pupilles va-et-vient d’œil gauche à droit.
*TU VAS BIEN ?* est sa deuxième question.
Que réponds-tu ?
[[Non]]
[[Oui]]
*vous avez entendu ?* demandes-tu
La femme reste interdite. Puis :
*TU ME VOUVOIES ET TU ME PARLES FRANÇAIS MAINTENANT ?* demande-t-elle en allemand.
Elle est pâle. Sa cravate écarlate te rappelle un portrait de la Renaissance. Front haut. Cheveux tirés. Châtain sombre. Fossettes et pattes d’oie.
Te revient une cascade de souvenirs : *Eau glaciale et brutale sur ton dos nu. Doigts crispés dans les siens et rire nerveux mâchoire lourde.*
Elle : regard anxieux. Pupilles va-et-vient d’œil gauche à droit.
*TU VAS BIEN ?* est sa deuxième question.
Que réponds-tu ?
[[Non]]
[[Oui]]
Tu cours en haut des marches, sous le regard médusé de la femme. Tu t’arrêtes sur le pallier. Le plancher grince. On l’a ciré récemment. L’odeur de prend à la gorge. Tes semelles adhèrent légèrement. Aucune lumière. Un large corridor fait de noir. S’enfonce vers
Tu attends que ton œil s’accommode.
Alors, le noir t’apparaît en suspension, comme une poudre de suie. Et tu avances dans cette cendre. Trois mètres. Peut-être quatre.
Alors le froid t’enserre. Tu le sens dans ton cou, devant, derrière, et descendre en toi comme des doigts.
Quatre mètres encore. Peut-être cinq. Une porte claque devant. Dans l’opaque servant de paupière à tout ton corps.
Six mètres aveugles. Claquement de porte. Grincement de plancher.
Là. Tu ouvres à tâtons. Les gonds couinent.
Là, dans le jaune tamisé d’un réverbère par la fenêtre entrebâillée, dans l’ordre :
1- squelette debout.
2- crâne.
3- yeux béants façon deux bouches.
4- crissement de dents mortes. Calcifiées.
Non. Crissement de vitre ouverte.
Oui. Aussi. Mais surtout
craquement d’un interrupteur à levier, sec, à droite derrière toi.
La lumière se fait.
Tu reconnais la salle d’anatomie à son odeur de sciure et au son, justement, arbitraire et brut, justement, de l’interrupteur.
Toi aussi, tu l ‘as fait claquer.
Toi aussi, une nuit, tu as joué avec la lumière comme on lance et rattrape des osselets.
Tu te souviens d'un visage très près du tien, légèrement moite, lisse. Il sourit lorsque tu éteins. Bizarre. Avant, tu n’avais pas peur du noir.
[[Mais qui es-tu ?]]
non réponds-tu. non je ne vais pas bien je ne sais pas qui je suis.
Elle te serre la main. Ton corps t’échappe alors et se met à trembler violemment. Tu veux dire je mais tes dents claquent.
DORIS ! entendez-vous s’exclamer derrière vous. La femme court en direction du cri, t’entraînant derrière elle. Ses ongles s’enfoncent dans le dos de ta main. Deux hommes, l’un chapeauté l’autre non, se tiennent dans le halo vacillant d’une lanterne qui vient de tomber à terre. Les yeux rivés sur la façade. Sous la fenêtre, contre le mur, dans la lumière qui tangue, une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être. Dedans flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un. Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras. Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]")
Elle te prend la main. La serre. Tu veux dire oui mais ta mâchoire tremble. Alors tu hoches la tête. Simplement. Une courbette de nuque qui confère ton destin, semble-t-il, à celui du pantin. Et tu crois, un instant, sentir le fil des marionnettistes. Et tu te souviens
sssssssssssssssssss
DORIS ! entendez-vous s’exclamer derrière vous. La femme court en direction du cri, t’entraînant derrière elle. Ses ongles s’enfoncent dans le dos de ta main. Deux hommes, l’un chapeauté l’autre non, se tiennent dans le halo vacillant d’une lanterne qui vient de tomber à terre. Les yeux rivés sur la façade. Sous la fenêtre. Contre le mur. Dans la lumière qui tangue. Une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être. Dedans flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé. Car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un. Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras. Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]")
Derrière toi, le parquet grince. Tu te retournes. Une femme. Elle est pâle. Sa cravate écarlate te rappelle un portrait de la Renaissance. Front haut. Cheveux tirés. Châtain sombre. Fossettes et pattes d’oie. Te revient une cascade. Eau glaciale et brutale sur ton dos nu. Doigts crispés dans les siens et rire nerveux mâchoire lourde.
Elle : regard anxieux. Pupilles va-et-vient d’œil gauche à droit.
QU’EST-CE QUI T’ARRIVE ? demande-t-elle.
- [[qui suis-je ?]]
- [[j’ai vu un homme s’enfuir.]]
Tu avances parmi les linges, comme l’anguille entre des algues irritées de ténèbres.
Tu existes à cause de cela.
Les linges sont blancs, non tant étoffe que cartilage. Pas à pas, tu penses au crâne d’oiseau et aux anémones pièges.
Les blouses sentent le vieux gymnase, la transpiration rance et sèche des vestiaires.
Tu te rappelles pratiquer la canne : *tes chaussons glissent sur le parquet grinçant et tu étires tes jambes comme ces marionnettes bifides qu’écartèlent les enfants. À tirette.*
Tu slalomes entre les blouses qui te frôlent. Et les cheveux et le cou. Un jour, tu as nagé dans le sombre parfait. Des algues te frôlaient et les cheveux et le cou. Et tes cheveux, tour à tour, étaient l’algue et l’anguille.
C’était un lac, la nuit.
Soudain, un visage très près du tien. Lisse. La surprise t’amusait.
Rappelle-toi : *la peau t’intéressait et le sourire qui se dessinait à tes lèvres était habillé d’une tendresse particulière.*
Tu tâtes le fond du débarras, habillé de papier peint crêpé. Râpeux comme du braille. Une lamelle, une autre, façon persienne, entre lesquelles susurre un souffle.
Tu suis la grille à la verticale, vers le bas. Elle part du sol. Mesure un mètre de haut un mètre de large.
En t’agenouillant, tu sens un objet mou et long, posé en travers.
De l’autre côté de l’aération te provient l’écho étouffé de conversations nerveuses.
Que fais-tu ?
Tu essaies de déboîter la [[grille d’aération]] pour t’engager à l’aveuglette dans la galerie ?
Tu sors [[l’objet mou]] du vestiaire pour l’examiner à la lumière du couloir ?
Tu grimpes lentement l’escalier.
Tu t’arrêtes sur le pallier. Le plancher grince. On l’a ciré récemment. L’odeur te prend à la gorge. Tes semelles adhèrent légèrement. Aucune lumière. Un large corridor fait de noir. S’enfonce vers
Tu attends que ton œil s’accommode. Alors le noir t’apparaît en suspension, comme une poudre. De la poussière de suie. Et tu avances dans cette cendre terreuse.
Trois mètres. Peut-être quatre. Alors le froid t’enserre. Tu le sens dans ton cou, devant, derrière, et descendre dedans toi comme des doigts.
Quatre mètres encore. Peut-être cinq. Une porte claque devant. Dans l’opaque servant de paupière à tout ton corps.
Six mètres aveugles. Claquement de porte. Grincement de plancher. Là. Tu ouvres à tâtons. Gonds couinent.
Là, dans le jaune tamisé d’un réverbère par la fenêtre entrebâillée, dans l’ordre :
1- squelette debout.
2- crâne.
3- yeux béants façon deux bouches.
4- crissement de dents mortes. Calcifiées.
Non. Crissement de vitre ouverte.
Tu avances et regardes dehors, comme l’objet – et son bruit – t’y invitent.
En contrebas, dans le parc obscurci, trois silhouettes passent. Celle de tête, lanterne à bout de bras qu’on dirait un phare, s’arrête abruptement. Lâche son fanal. La lumière tangue comme une flaque agitée.
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou, s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière** te souviens-tu.
Une des trois silhouettes lève les yeux vers toi. C’est une femme. Elle a les mains en conque devant la bouche.
*DORIS !* crie-t-elle à ton intention.
Doris. Elle qui pour étudier les chairs, comme Géricault, contemple des cadavres.
Géricault.
*La bataille de Jéricho. AD GLORIAM NOSTRAM.*
Une nausée te souffle aux lèvres. Derrière les lèvres, l’haleine d’une nausée qui serait ta mémoire.
Non, ta mémoire n’est pas ce papier net et pur, au grain doux qu’il serait du vélin. De la peau de veau mort-né.
Non. Ta mémoire est en fait cette exhalation putride. Ta mémoire est en fait ce qui reste d’un repas éparpillé sur une table grasse.
Que feras-tu de ces trois indices ?
*Doris. Cadavre. Énucléation.
Jéricho. Ad Gloriam. Cinq.*
Il y avait une fresque. Ou plutôt un requiem aux illustrations vivaces qui seraient mortes. Et pour marier ce vivace et ce mort, il y avait Doris et ses macchabées froids à la texture molle et fongique. Et il y avait le temps passé à lq mater déconstruire. Cet effort à la regarder de face.
Et il y avait Et cette fresque à achever comme on achève une geste. Et savoir que cette fin n’existe pas sans Doris.
Tu creuses. Tu fourrages. Où est le corps de Doris ?
Comment se construit-il en termes d’ombres ?
Une cigarette. Des doigts secs et gercés. Une partition. La nausée revient et soudain, l’odeur âcre du cadavre. Du Cadavre. Du Cadavre. Le. Le seul. Un macchab que ni transpiration ni poudre ni térébenthine ni parfum ne transforment jamais en guilleret. Une puanteur qui est un cadavre et vice-versa. *Doris met un mouchoir parfumé devant ton nez. Il fait sombre. Elle a allumé la bougie et tu l’as vu.*
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Contenant l’effarement, tu franchis la monumentale porte d’entrée.]]")
Tu pousses la lourde porte et passes le seuil. Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
Un globe, ou plutôt un gland Art Nouveau, dépose un cercle jaune, fatigué de phalènes, sur les dalles glissantes de l’allée centrale. Sinon, autour, le parc est obscurci.
Plus loin, du gravier peut-être, car tu entends des roues sillonner la surface. Des roues cerclées de fer. Une carriole ou une brouette. Mais ça, c’est ce que tu entends. Pour le reste, du sombre palpable en creux.
La solitude, soudain, te pince l’œsophage, comme si le sombre...
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière** te souviens-tu.
*DORIS !* entends-tu crier de l’autre côté du bâtiment.
Tu cours en direction du cri. Une lanterne vacille par terre, façon toupie. Trois personnes debout. Les yeux rivés à la façade.
Tu suis leur regard.
Sous la fenêtre. Contre le mur. Dans la lumière qui tangue. Une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être.
Dans la flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée – la blessure, la coupure – c’est le manque de bras.
Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]")
Tu traverses le hall.
Tes semelles en cuir claquent sur le granita.
Le couloir dessert, par deux portes percées à vingt mètres l’une de l’autre, un vaste atelier de poterie.
Sur les quarante paillasses, des monceaux irréguliers de glaise, attaquée de façon aléatoire, forment une armada de fourmilières ou d’habitations troglodytes éparses.
Seules trois tables sont éclairées.
Sur l’une d’entre elles, deux cigarettes encore allumées fument dans un cendrier en verre soufflé orange bile.
Un tour de potier valse encore, très lentement, façon carrousel malade. Une des fenêtres ouverte donne sur la nuit.
[[Tu prends une cigarette]].
[[Tu t’assoies devant le tour de potier]].
Tu passes les doigts sous la grille d’aération et la déloges sans aucun problème. D’autres l’ont sûrement fait avant toi.
Tu t’engages à quatre pattes dans la galerie courant sur la droite. Elle est souillée d’une traînée liquide qui imbibe tes paumes et l’étoffe de ton pantalon, aux genoux.
Si tu le souhaites, tu peux encore rebrousser chemin, ramasser [[l’objet mou]] et retourner dans le couloir. À la lumière.
[[Ou pas.]]
Tu ramasses l’objet mou – il est froid et moite – et te diriges vers le couloir.
À quelques pas de la porte du vestiaire, dans la lueur faiblarde, tu baisses les yeux sur ta trouvaille.
C’est un bras.
Un bras scié à l’épaule.
L’appendice comporte encore sa main. Belle et légèrement calleuse. Fine et musclée. Doigts gercés. Les tiens sont teintés de sang.
*Doris*, te souviens-tu, un goût de salive à la langue. Puis…
(either:"[[Un voile tombe sur tes yeux et]]","[[Tu sors dans le couloir]]").
Tu sors dans le couloir. L’estomac aux lèvres, près à se déverser... Les tripes presque au même endroit que la mémoire. Aussi fuyant, acide.
Tu tombes à genoux, ta trouvaille morbide pressée contre le bide, au niveau du nombril. Tu prononces une syllabe (*cor*) un peu trop fort. Une pause. Puis
psssssssssss
*HÉ !* entends-tu quelqu’un s’exclamer.
(either:"[[Un petit homme frêle…]]","[[Un homme épais…]]").
Un petit homme frêle, plus court que toi. Oreilles décollées qu’on les dirait pointues de face. Taches de rousseur et visage rond. Rongé. Rongeur. Lèvres lippues déguisant sûrement de petites dents de brochet. DORIS... commence-t-il puis sa voix s’étrangle comme si une couleuvre, ou possiblement la queue d’un crocodile, s’était fourrée dans sa gorge. L’homme qui semble te connaître te contemple avec la certitude horrifiée de celui qui a vu le spectre.
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
Un homme épais, au visage étrangement petit, lac entre broussailles, perdu au milieu de boucles grasses de cire ou de crasse et barré d’une moustache peu symétrique. Ou est-ce la lèvre biaise ? Deux yeux charbon. Un gant de travail étranglé par une pogne gantée à gauche. Une main nue, étonnamment petite, à droite. Qui porte un chapeau. Il te contemple avec horreur, tente, d’un coup de pied, de dégager le bras scié de ton étreinte poisseuse. En vain. Les mâchoires crispés, tu émets
*ssssssssssssssssss*
en continu, inspirant parfois par le nez.
[[Tu ne sais toujours pas qui tu es.]]
Tu continues de ramper dans la flaque.
La galerie tourne vers la droite.
Tu suis le coude et aperçois un halo de lumière zébré de lattes.
**L’espace le plus parfaitement limité n’est qu’un vide ou un trou, s’il n’est animé par cette haleine troublante de l’atmosphère qu’est la lumière**, te souviens-tu.
Tu avances vers la bouche d’aération et la déloges comme la première. Tu sors à quatre pattes. Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
À quelques pas, une lanterne vacille par terre, façon toupie.
Trois personnes debout : un homme chapeauté, un autre tête nue, une femme. Tu suis leur regard, rivé à la façade.
Sous la fenêtre, contre le mur, dans la lumière qui tangue, une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être.
Dans la flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras. Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]")
*qui suis-je ?* sort de ta bouche.
La femme approche. Son parfum t’est familier. Tubéreuse. Une légère odeur de sueur. La tienne sûrement. Son inquiétude se mue brutalement en irritation.
*TES ARGUTIES INCESSANTES NE M’AMUSENT PLUS*, dit-elle. *J’AI SINCÈREMENT CRU QUE TU AVAIS UN PROBLÈME.*
Elle passe la tête par la fenêtre.
Elle se penche.
*OH MON DIEU.*
*Melle DÜSENER ! DESCENDEZ VITE ! C’EST DORIS !* entends-tu une voix d’homme fluette s’exclamer dehors.
La femme sort de la pièce précipitamment. Tu la suis dans l’escalier, trébuches dans le hall, franchis la porte monumentale. Ta vue se trouble. Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
Tu cours.
Le souffle te manque. Ton corps te rappelle qu’il ne doit pas courir. Vous empruntez l’allée gauche pour contourner le bâtiment.
Deux hommes paralysés, les yeux rivés sur la façade. L’un chapeauté l’autre non. Une fois à leur hauteur, tu suis leur regard.
Sous la fenêtre, contre le mur, dans la lumière qui tangue, une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être. Dedans flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras. Et le rouge qui en suinte, c’est du sang. Le décor tangue.
[[Un voile tombe sur tes yeux et]]
*J’ai vu un homme*, sort de ta bouche. *je crois qu’il a sauté par la fenêtre.*
La femme approche. Son parfum t’est familier. Tubéreuse. Une légère odeur de sueur. La tienne sûrement.
*Melle DÜSENER ! DESCENDEZ VITE ! C’EST DORIS !* entends-tu une voix d’homme fluette s’exclamer dehors.
La femme passe la tête par la fenêtre.
Se penche.
*OH MON DIEU.*
La femme sort de la pièce précipitamment. Tu la suis dans l’escalier, trébuche dans le hall, franchis la porte monumentale.
Ta vue se trouble.
Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
Tu cours.
Le souffle te manque.
Ton corps te rappelle qu’il ne doit pas courir.
Vous empruntez l’allée à ta gauche pour contourner le bâtiment.
Deux hommes paralysés, les yeux rivés sur la façade. Une fois à leur hauteur, tu suis leur regard.
Sous la fenêtre. Contre le mur. Dans la lumière qui tangue. Une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être. Dans la flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé. Car il n’a plus de bras.
Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras.
Et le rouge qui en suinte, c’est du sang. Le décor tangue. [[Un voile tombe sur tes yeux et]]
Tu sens le vert. L’humus du soir. La terre imbibée de tiges. Fin d’été. Les vestiges d’une pluie fine, récente, soulèvent une odeur pointue de pierre mouillée.
Tu empruntes l’allée à ta gauche pour contourner le bâtiment et rejoindre le petit groupe que tu as aperçu de la fenêtre.
Eux : paralysés.
Une fois à leur hauteur, tu suis leur regard. Sous la fenêtre, contre le mur, dans la lumière qui tangue, une grande flaque rouge. Comme une larme de lave qui ne fendrait pas. Ou la face scintillante d’un rubis, le reste de la pierre étant inhumé, peut-être.
Dans la flaque, un corps vêtu d’une blouse blanche. Étrangement formé car il n’a plus de bras. Ou plutôt qu’un seul.
Et ce qui bée, la blessure, la coupure, c’est le manque de bras. Et le rouge qui en suinte, c’est du sang.
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Tu laisses passer un vertige, serres les dents et]]")
Tu prends une des cigarettes et la portes à tes lèvres. Tu fumais. Donc tu fumes. Goût cireux de rouge à lèvres. Te revient une cascade de souvenirs : *Eau glaciale et brutale sur ton dos nu. Doigts crispés dans les siens et rire nerveux, mâchoire lourde.*
[[Et…]]
Tu prends place devant le tour de potier et passes les mains sur la glaise humide. Tes doigts malaxent. Faible pression de pulpe dans pulpe. Forment deux débuts de corne. *Mi-no-taure*, penses-tu. [[Et…]]
*DORIS !* entends-tu crier dehors.
Doris. Elle qui pour étudier les chairs, comme Géricault, contemple des cadavres.
Géricault.
La bataille de Jéricho. **AD GLORIAM NOSTRAM**.
Une nausée te souffle aux lèvres. Derrière les lèvres, l’haleine d’une nausée qui serait ta mémoire.
Non, ta mémoire n’est pas ce papier net et pur, au grain doux qu’il serait du vélin. De la peau de veau mort-né.
Non. Ta mémoire est en fait cette exhalation putride.
Ta mémoire est en fait ce qui reste d’un repas éparpillé sur une table grasse.
Que feras-tu de ces trois indices ?
*Doris. Cadavre. Énucléation.
Jéricho. Ad Gloriam. Cinq.*
Il y avait une fresque. Ou plutôt un requiem aux illustrations vivaces qui seraient mortes. Et pour marier ce vivace et ce mort, il y avait Doris et ses macchabées froids à la texture molle et fongique. Et il y avait le temps passé à la regarder déconstruire. Et il y avait cet effort à la regarder en face. Doris.
Et il y avait cette fresque à achever comme on achève une geste. Et savoir que cette fin n’existe pas sans Doris.
Tu creuses. Tu fourrages. Où est le corps de Doris ? Comment se construit-il en termes d’ombres ?
Une cigarette. Des doigts secs et gercés. Une partition. La nausée revient et soudain, l’odeur âcre du cadavre. Du Cadavre. Du Cadavre. Le. Le seul. Un macchab que ni transpiration ni poudre ni térébenthine ni parfum ne transforment jamais en guilleret. Une puanteur qui est un cadavre et vice-versa. *Doris met un mouchoir parfumé devant ton nez. Il fait sombre. Elle a allumé la bougie et tu l’as vu.*
ce cri
(either: "[[Un voile tombe sur tes yeux et]]" , "[[Contenant l’effarement, tu franchis la monumentale porte d’entrée.]]")
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